Grégory Valton a longtemps été photographe. Un photographe-marcheur, endurant et introspectif, un photographe-narrateur, racontant les histoires des lieux qu’il traverse et des êtres qu’il rencontre. Il y a dans ses œuvres une tension palpable entre la forte présence, parfois fantomatique, de son histoire familiale, et la tentative de s’en détacher. Un paradoxe entre l’expression nécessaire d’une subjectivité, l’acceptation d’un vécu personnel tragique, et le besoin primordial d’objectiver les faits, de les mettre à distance. Comme des souvenirs et des questionnements qui vous habitent et qui vous rongent, mêlés au souhait profond que jamais ils ne vous définissent.
    Grégory Valton réactive les mémoires collective et individuelle par le geste. Il retourne sur les pas de Robert Desnos, déporté et décédé en 1945 en République Tchèque (La furtive, 2007-2022) et marche alors huit heures par jour, sur deux cents kilomètres. L’épuisement du corps se confronte à la dureté de l’Histoire. Il réalise l’inventaire des affaires de sa mère (L’inventaire, 2015), qu’il traite avec beaucoup de précaution, muni de gants blancs pour les manipuler. Le geste est précis et donne à l’objet intime le statut d’un sujet d’étude scientifique. Dans Ce qui se repose (2008-2023), il capture les paysages du village natal de sa mère et met en lumière la disparition et le manque d’un être cher, côtoyant ainsi l’absence et le vide.  
    Le vide appelle la chute. La pesanteur se dévoile, les corps s’évanouissent. Dans les performances et vidéos de la série Point de chute (en cours), l’artiste sublime la rigidité du corps, le geste mécanique et la fragilité des objets dans les instants qui précèdent l’inéluctable. Une chorégraphie de l’inattendu, une délicatesse fortuite apparaissent dans ses installations, toujours en équilibre, sur le fil. A l’instar des textes de Samuel Beckett ou des vidéos de Bas jan Ader, qui l’inspirent, la simplicité et la précision des actions permet la répétition, la perte et le renouvellement du sens.  La beauté de la persévérance de l’homme conduit à la vacuité du geste de l’idiot. L’artiste navigue en eaux troubles, entre rire contenu, référence tragique, absurde existentiel et idiotie, avec la chute comme seule boussole.
    Ce geste ultime de Grégory Valton, symbole à la fois du deuil et de l’histoire qui s’écrit à travers le prisme de l’absence, est le don de son appareil photographique argentique à un inconnu (La suppression des images, 2023). Il demande en contrepartie au donataire de lui envoyer ses premières photographies, prises avec la dernière pellicule de l’artiste. Le lâcher-prise est total, ou presque, le détachement se profile vers un renouveau certain. La fin d’une époque artistique et personnelle est marquée par cet acte symbolique de rupture et d’abandon, dans un mouvement d’ouverture de soi vers l’autre. L’artiste se déleste du passé pour partir, plus léger, vers d’autres horizons et expérimentations plastiques et performatives.

Marie Frampier