Voyage avec ma mère

2025 - en cours
Images 

Voyage avec ma mère a débuté à l’été 2025, lors d’une résidence dans un ancien moulin transformé en laboratoire photographique. Ce lieu, par son décorum et sa charge symbolique, évoquait l’atelier de Nicéphore Niépce qui, en 1826, obtenait la première photographie. Deux cents plus tard, après l’avènement du numérique, une nouvelle révolution s’opère : la photographie générée par l’Intelligence Artificielle. Désormais, les photographes n’arpentent plus le terrain pour faire des images, mais les imaginent en rédigeant un prompt.

Ce nouveau paradigme nourrit mes recherches sur la mémoire familiale et sa fabrication, la transmission, l’identité et l’empreinte
mémorielle. Toute famille se raconte une histoire sur elle-même : c’est son mythe. La mémoire est ce qui crée l’intime d’une famille et, à travers des photos et ses souvenirs, en fait un socle commun. Pour ma part, la bulle familiale éclate il y a vingt-cinq ans, lorsque ma mère a mis fin à ses jours. La photographie m’a alors aidé à dépasser ce traumatisme, en en dessinant ses contours, même flous. J’ai mis en place un processus lié à la marche, la solitude, l’épuisement, où la relation entre corps et appareil va devenir centrale - comme si l’arrêt sur image me permettait de comprendre le geste complexe de ma mère.

Avec l’IA, je fabrique de nouveaux récits possibles. Je lui propose mes photos qui présentent beaucoup d’occurences : reflets, lumière à la tombée de la nuit, paysages vides montagnes enneigées, maison de famille… autant d’images où la présence de ma mère affleure en creux. Puis j’ajoute les photographies de ma mère prisent par mon père : les photos amoureuses du début glissent vers des photos où son regard devient fuyant, ses sourires absents. Elle ne joue plus le jeu du photographe, ne se laisse plus contrôler. À partir de ces matériaux, je laisse Midjourney générer des images que je n’aurai pas pu faire. Je sélectionne les plus marquantes, étranges, inquiétantes que je viens tirer en argentique sur des plaques de verre des années 1930. Ces objets, manipulables par le public, interrogent : que voit-on vraiment ? Que raconte cette image ? Le doute s’installe.

Ces nouvelles photographies deviennent le support d’un récit, un dialogue avec l’absente, sorte d’une uchronie qui laisse entrevoir un autre possible, avec ma mère, dans un temps qui n’existe pas. Voyage avec ma mère est à la fois témoignage, histoire de fantômes, deuil et réparation. Mais surtout, il se construit comme un portail entre plusieurs mondes qui mélange des temporalités et des techniques : entre vrai et faux, réel et virtuel, vie et mort.